Jean-François Pousse
«Un monde à part, piscine olympique à Berlin», Techniques & Architecture n°446, janvier 2001.
« La deuxième très grande réalisation de Dominique Perrault après la Bibliothèque nationale de France, emblématique des thèmes déjà remarqués dans ses bâtiments précédents. La première tranche du programme concernait le vélodrome. La seconde, inaugurée en novembre dernier, parachève le complexe sportif berlinois par une série de piscines. Le tout constitue un ensemble à spécificités fortes. Dans la zone est de Berlin, le long d’immeubles tristes et d’une voie de chemin de fer, les deux programmes s’enfouissent dans un socle qui à la fois les masque et les signale. Il ne s’agit pas de disparaître, mais de constituer un autre univers, avec une existence et une logique autonomes. Et d’abord d’installer un écart, une limite à franchir, un passage ici marqué en périphérie du site, par un grand emmarchement blanc, le côté chemin de fer offrant un accès direct en partie souterrain.
Cette frontière passée, se déploie une sorte d’interface urbaine. Du vide. On se souvient en juillet-aout 1989 à propos du projet pour la BNF, de la petite phrase « Une bibliothèque pour la France, une place pour Paris, luxe inouï ». Ici à Berlin, dans le tissu distendu du quartier, s’installe, un peu comme tombé du ciel, un grand champ rectangulaire, plat rigoureusement, mais doux au printemps quand ses 450 pommiers sont en fleurs (quelques-uns sont encore à planter). De ce plateau, la ville est bien visible, mais un peu plus loin, moins présente que le ciel.
La fabrication d’un monde spécifique est à l’œuvre. L’architecture le complète. Du sol de ce monde à part affleurent deux figures géométriques : un cercle (le vélodrome) et un rectangle (la piscine). La limpidité des formes amorce le glissement vers l’abstraction, une étrangeté, une vibration silencieuse, sorte d’au-delà du réel cher à l’architecte.
Pour atteindre les deux équipements, il faut franchir de nouvelles frontières, emprunter de longs pans inclinés qui longent les façades, ou descendre de larges degrés qui s’enfoncent dans l’épaisseur du socle. Comme la BNF, mais aussi à l’usine Applix près de Nantes, au siège d’Usinor Sacilor à Saint-Germain-en-Laye, le thème de l’île, du territoire en retrait s’impose. D’autant que chaque bâtiment – mais peut-on parler de bâtiment ? – est caparaçonné de nappes de métal, ultime limite, énigmatique entablement sous lequel il faut se glisser pour accéder à l’intérieur. Désormais, le visiteur, comme le lecteur de la bibliothèque là-bas à Paris est soustrait à la ville, pris non pas au piège, mais dans les rets d’une architecture autonome. […]
Pour [le vélodrome] et pour les piscines, l’esprit est le même, dans la lignée des réalisations de l’architecte. Objectifs : compter les éléments, condenser, ordonner en quelques grands principes, s’y tenir, obtenir à travers la géométrie et la répétitivité un niveau de concision qui conduise à l’abstraction, au cœur d’un paysage inventé. […]
Si le vélodrome s’enveloppe de couleurs sombres, les piscines jouent de la blondeur du bois, et de la blancheur dans les vestiaires carrelés, aseptisés et troublants comme une énième production de Paul Raynaud. Tendance spartiate, comme aux bureaux de la BNF, rugueux, pauvres sciemment que l’on retrouve au long des accès donnant sur le chemin de fer, mais aussi dans les cotes de maille inox, frustres, industrielles, que le soleil et l’ombre changent en lacs éblouissants ou sombres. »